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3 janvier 2007

interview du journaliste YASSINE ZIZI avec RACHID NINI

12/12/2006
                     interview du journaliste YASSINE ZIZI avec RACHID NINI

Rachid Nini
Le célèbre chroniqueur d'Assabah n'aime pas trop sortir. Assez timide, la casquette vissée sur la tête dans une veine tentative de passer inaperçu, il essaie de nous convaincre d'aller dîner chez lui plutôt que dans un restaurant. C'est finalement à la Mamma, à Rabat, que nous nous retrouvons. Son choix : Soupe de légumes, lasagnes et crème caramel, le tout copieusement arrosé d'eau minérale.



Au début, vous vouliez aller dîner à « Bab El Had ». Pourquoi avoir changé d'avis ?

Au dernier moment, j'ai eu peur de me retrouver aux urgences.

Ça n'arrange pas les choses ici à la Mamma. Vous avez l'air gêné. Je n'aime pas manger dehors.


Et quand vous êtes invité ?

En général, j'évite. Je reçois plein d'invitations de toutes parts mais je n'y vais jamais.


Par snobisme ?

Wa lla. Il y a beaucoup de gens que je ne connais pas et les personnes « Mohtaramine », enfin ceux qui le croient, j'essaie de les éviter. Je crois que je suis un citoyen de mauvaise réputation. Quand je m'assieds à côté de ces gens, ils se taisent. Autant les laisser à l'aise, entre eux.


Le serveur arrive pour prendre la commande. Rachid Nini fait son choix et à la question : « un petit vin », il répond : Non, merci, je ne bois pas.


Pour de vrai ou pour l'interview ?v Je ne bois pas, je ne fume pas et je fais ma prière depuis l'âge de 10 ans.


Vous êtes chroniqueur à « Assabah » depuis trois ans. Tous vos papiers parlent du malaise de la société, d'où tirez-vous vos informations ?

Des citoyens qui m'écrivent ou qui m'appellent sur mon téléphone portable. Je reçois une centaine de mails par jour et le téléphone n'arrête pas. On m'écrit de Tanger à Lagouira et ça va du prisonnier de Oukacha, qui veut dénoncer les conditions de détention dans les prisons, au type qui est sur le point de se marier et qui veut mon avis en passant par la femme qui a un problème avec son époux et qui me demande conseil. Un vrai Diwane al Madalim.


Et de l'étranger ?

Des jeunes qui ont terminé leurs études et qui me demandent s'ils doivent rentrer…


Vous leur répondez quoi ?

Wayak dirha ! (Surtout pas).


Vous empêchez les cerveaux de rentrer. Non, de moisir ici plutôt. Je suis contre le slogan « Finkoum ». Avant de chercher à faire rentrer les gens, il faut d'abord leur assurer un bon accueil. Il n'y a pas d'infrastructures, pas de centres de recherche, pas de salaires honnêtes. On leur ment. Et s'ils veulent rentrer, il faut qu'ils soient un peu moins intelligents qu'ils ne le sont. En plus, s'ils se sentaient bien dans leur pays, ils ne l'auraient jamais quitté.

Un bip. Il reçoit un sms qu'il s'empresse de lire. Tenez, écoutez ça : « Je m'appelle Larbi Nini d'origine d'Oulad Berhil. Êtes-vous de ma famille ? ». Je vais lui répondre. Il envoie ce message : « Possible. Il y a un héritage ? »


Avec tout ce que vous recevez comme courrier, vous connaissez la température du pays. Comment va le Maroc ? Il a une fièvre chronique, un début d'asthme, la sous-alimentation le rend rachitique, il souffre d'amnésie et il a déjà subi une première attaque cardiaque comme signal. Vous savez, quand on a une première attaque cardiaque, la suivante se révèle toujours fatale.


Vu l'abondance de votre courrier, écire est davantage une charge qu'un plaisir. Pour moi, il y a longtemps que l'écriture n'est plus un luxe. Elle est devenue pour moi un outil pour dénoncer. Pas forcément le régime, l'Etat ou les défauts de notre économie, mais aussi le citoyen, la mauvaise éducation, la malhonnêteté la saleté et les magouilles. On est mal éduqués et si on commence à éduquer les gens dès maintenant, peut-être que dans 50 ans ça ira mieux.


Larbi Nini envoie un nouveau sms. Il m'écrit : « Je ne rigole pas ». Encore un qui n'a pas le sens de l'humour. Ca me rappelle nos ministres.


Justement, vous ne voulez pas les lâcher un peu ? Ils sont partout dans vos chroniques. Ce sont des personnages publics. Ils doivent assumer et s'ils veulent qu'on les lâche, qu'ils redeviennent « monsieur tout le monde ».


Mais vous mettez tout le monde dans le même panier… Jusqu'à preuve du contraire. Pour le moment, je n'en vois que quelques-uns qui justifient leur salaire, on peut les compter sur les trois doigts d'une main.


En tout cas, on ne peut pas dire que Benaïssa, El Malki, Sahel, Biadillah, Abbas El Fassi, Baddou, Bouzoubaâ, Achâari ou Douiri en fassent partie. Ça s'appelle de l'acharnement… Ce n'est pas de l'acharnement. C'est une approche satirique des activités du gouvernement. Que ce soit eux ou les lecteurs, personne n'y était préparé mais il faut qu'ils s'y fassent. Il faut que les responsables soient vaccinés contre les coups de gueule que ce genre de satire peut leur causer. Pour nous, c'est une sorte de thérapie et c'est la seule consolation. Eux, ils ont le pouvoir et nous, il ne nous reste que le sourire. Est-ce trop demander, un sourire dans un pays où le peuple a tant pleuré ?


Mais qu'avez-vous contre ce gouvernement ?

On n'a pas le gouvernement qu'on mérite.


Ou alors, on a justement le gouvernement qu'on mérite. On a voté, n'oubliez pas.

Oui, bien sûr, vous avez déjà vu les résultats des élections ?


Pas vraiment, non. Vous avez des nouvelles ?

Bel'êma. Walou.


Vous êtes souvent sollicité par vos lecteurs ?

Vous ne pouvez pas imaginer. Les gens vont même chez ma famille à Benslimane pour déposer des dossiers.


Ils demandent quoi ?

Souvent que justice soit faite, sinon ils cherchent du boulot et ils veulent que je leur en trouve. Je n'ai même pas réussi à régler les problèmes de ma famille…


Mais vous les aidez un peu ?

Je défends ceux qui méritent d'être défendus. Ceux-là, je suis prêt à aller en prison pour eux. Les malhonnêtes ou ceux qui subissent une injustice et ne réagissent pas méritent ce qui leur arrive.


Peut-être sont-ils impuissants ?

Il faut qu'ils apprennent à protester. Combien de femmes victimes de harcèlement sexuel au bureau gardent le silence ?

Elles risquent de perdre leur boulot si elles parlent. Il y a aujourd'hui des associations et des ONG qui prennent en charge ces dossiers. Et puis même, on peut sacrifier toute une génération pour que cela aille mieux après. Sinon, d'ici la fin des temps rien n'aura changé.


Quelle est la chose que vous n'accepterez jamais ?

L'humiliation. Toucher à la dignité de quelqu'un. J'ai déjà été humilié et j'ai préféré quitter le pays pour préserver ce respect de moi-même. Là où j'étais, j'ai nettoyé les chiottes et j'ai fait des boulots considérés au Maroc comme dégradants, mais toujours avec dignité. J'aurais pu rester ici et intégrer un parti politique pour y faire carrière… D'ailleurs on me l'a proposé à l'époque.


On peut savoir lequel ?

L'Istiqlal par le biais du journal « Al Alam ».


Pourquoi avez-vous refusé ?

Imaginez que je sois chez eux aujourd'hui et que Abbas El Fassi, qui a quatre suicidés sur la conscience soit mon Secrétaire général. Vous me voyez là dedans ?


Une petite sympathie pour un autre parti ?

Aucune. N'empêche que j'ai beaucoup de respect pour certaines personnes qui intègrent les partis.


Des noms ?

Pas la peine. Le seul avantage au Maroc c'est que tout se sait. Ghir dirha zina tewsel tewsel.


Pourquoi êtes-vous rentré d'Espagne ?

Mon combat est ici, parmi les miens.


Un brin de patriotisme ?

Une tonne. Même si certains essaient tous les jours, à chaque instant, de nous faire comprendre que nous ne sommes pas chez nous, on reste. Ils n'ont qu'à partir s'ils le souhaitent. Ça arrangera tout le monde, croyez-moi. En plus, avec leur passeport rouge-sang, ils n'auront pas à nettoyer les chiottes « chez eux ».


Votre chronique est l'une des plus lues au Maroc. On dit même que « Assabah » a triplé ses ventes depuis que vous êtes chez eux.
0 Il ne faut pas dire ça. Il y a de jeunes talents qui travaillent avec moi et tout le monde participe.


Pourtant, vos chroniques sont les seules à être photocopiées pour être vendues à 50 centimes pièce. Je suis fier de créer des emplois pour des jeunes à l'insu du ministère de l'Emploi.


Comment avez-vous trouvé le dîner ? Léger.


Pourtant au début je vous ai dit que vous pouviez commander ce que vous vouliez. Je mange léger le soir.



Yassine Zizi

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